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Charles Delaurent/crédit photo Gabrielle Delaurent

Charles Delaurent/crédit photo Gabrielle Delaurent

Chaque matin, Charles Delaurent parcourt les quelque sept kilomètres qui séparent les Hautasses du village pour y acheter son journal. Il s’attable à la terrasse du café du Centre devant un petit noir, échange quatre mots avec les habitués et entame la lecture des nouvelles du "Monde". Ce rituel immuable dure depuis des années.

 

Café du Centre, à Montcuq

Café du Centre, à Montcuq

Charles n’est pas d’ici, mais l’arracher aux Hautasses, une bâtisse achetée il y a une éternité « trois francs six sous » serait une déchirure. Rien n’a pu rompre le lien quasi charnel qui relie cet homme de 80 ans à ces murs épais, ni la maladie, ni les mauvais coups du sort. Il faut dire que cette maison représente beaucoup. C’est ici qu’il passa son voyage de noces avec Gaby, son épouse. Les murs épais des Hautasses conservent la mémoire des moments marquants qui jalonne leur longue vie commune. Elle reste le lieu de ralliement de toute la tribu. « Les enfants devenus grands y gardent des attaches fortes », confirme Gaby. Cette dernière se rappelle avec un brin de nostalgie dans la voix, la toute première fois qu’elle découvrit la maison. « Pour y accéder, il fallait gravir une sente abrupte, impraticable par temps de pluie. La toiture béait sur un ciel scintillant d’étoiles, le sol était constitué de terre battue. Il n’y avait pas d’eau courante, mais un puits profond de treize mètres qui servait à puiser l’eau nécessaire pour la lessive, la toilette et la vaisselle. Il fallait descendre sur la place du village pour faire provision d’eau potable. Les w.c., un carré de genêt défriché avec vue sur la vallée, sont entrés dans la légende familiale ». Charles proclame avec fierté qu’il a installé « les plus belles toilettes de la vallée, une chambre de verdure ». Gaby pense qu’ils étaient sans aucun doute écolos avant l’heure. Par la force des choses.

Le Quercy Blanc

Le Quercy Blanc

Moulin de Castelnau-Montratier

Moulin de Castelnau-Montratier

Longtemps, les Hautasses gardèrent leur vocation d’un pied-à-terre destiné aux vacances. C’était presque un autre temps. Aujourd’hui, la maison dispose de tout le confort et le couple y séjourne de manière permanente. Au village, tout le monde connaît Charles. Il faut dire que sa silhouette ne passe pas inaperçue et pour cause. Ce géant de 80 ans un peu voûté par le poids des ans et à la démarche un peu hésitante aujourd’hui est une force de la nature. Il impressionne et intimide tous ceux qui le côtoient. La surdité l’a rendu avare de paroles, mais il n’a rien perdu de son charisme et il emplit naturellement l’espace. Son regard vous transperce, sa voix rare s’impose immédiatement tant elle est puissante et profonde. C’est un charmeur, mais il sait être redoutable. Mieux vaut le compter parmi ses amis. C’est un observateur qui sait jauger son monde. Mais derrière ce colosse aux pieds d’argile se dissimule un poète, qui sait plier la matière à son imagination. En effet, Charles est un téméraire qui n’a pas moins entrepris que de croiser le fer à 80 ans. Et ne croyez pas que cet homme à la stature de géant, soit un fou dénué de raison qui tel le héros de Cervantès chevauchant sa rossinante et flanqué de son fidèle Sancho Panza s’en va combattre une armée de moulins pour les beaux yeux de sa Dulcinée. Le combat valait la peine d’être mené puisque l’issue de ce duel a donné une magnifique série d’une trentaine de sculptures.

Don Quijotte et Sancho Panza/crédit photo Lydia Barbeau
Don Quijotte et Sancho Panza/crédit photo Lydia Barbeau

Don Quijotte et Sancho Panza/crédit photo Lydia Barbeau

Pugnace, cette idée devait lui trotter dans la tête depuis longtemps puisque enfant déjà il aimait amasser de vieux bouts de ferraille.

« Depuis toujours, j’avais une attirance pour le fer. En témoignait dans mon enfance, une collection de clous rouillés, fers à vache hors d’usage et toutes sortes d’objets hétéroclites ».

Et puis cet ancien directeur commercial d’un grand laboratoire pharmaceutique cultivait depuis longtemps son goût pour l’Art en fréquentant assidûment les salles d’exposition, les musées, les concerts et les salles de théâtre. Il reconnaît s’être fortement imprégné de l’univers de Gustave Eiffel, Baltard et des artistes comme Gonzalés, Gargallo ou bien César qui ont travaillé le fer, ce matériau qu’il affectionne tant. La survenue d’une surdité invalidante l’a obligé à se replier progressivement vers les Arts visuels et graphiques ainsi que la lecture.

À force de fréquenter le milieu artistique, l’envie le démange de s’essayer à la pratique. Ainsi à l’orée de ses quarante ans, le voilà qu’il s’investit dans la peinture, mais insatisfait du résultat et aussi brutalement qu’il avait commencé il arrête tout. Le chevalet finit relégué dans un coin oublié de la cave. Un été, il entreprend d’écrire un livre. Comme à son habitude il s’y jette corps et âme. Avant la fin de la belle saison, il met un point final à son histoire,  relit le manuscrit qui atterrit directement  dans la corbeille. Notre homme « ne s’estime pas à la hauteur de ses ambitions », commente son épouse. Charles Delaurent est un homme de passions qui aime aller au fond des choses. Une fois qu’il juge le sujet épuisé, il passe à autre chose, mais avec un sentiment d’insatisfaction permanente... sauf pour son épouse, glisse Gaby avec un sourire. 

La pensive/crédit photo Gabrielle Delaurent et les géants déguisés en moulin/crédit photo Lydia Barbeau
La pensive/crédit photo Gabrielle Delaurent et les géants déguisés en moulin/crédit photo Lydia BarbeauLa pensive/crédit photo Gabrielle Delaurent et les géants déguisés en moulin/crédit photo Lydia Barbeau

La pensive/crédit photo Gabrielle Delaurent et les géants déguisés en moulin/crédit photo Lydia Barbeau

Cette fois pourtant, il semblerait bien que Gaby ait trouvé une rivale de taille : la sculpture. À l’opposé de l’écriture et de la peinture, Charles Delaurent considère sa production avec plus indulgence puisqu’il s’est laissé convaincre d’exposer ses œuvres dans une galerie d'art du village de Montcuq. Le public a pu admirer tout un bestiaire que l’on croirait sorti tout droit de l’imagination de Cervantès. On retrouve le bavard Berganza, chien soudainement doué de parole qui entreprend de faire le récit de sa vie à Scipion, son compagnon d'infortune.

On reconnaît  également Don Quijotte et son serviteur Sancho Panza, célèbre pour avoir combattu une armée de géants... Est-ce l’influence de sa terre d’adoption, le Lot et son paysage minéral, blanchi par le soleil ou bien celle de l’Espagne toute proche et de ses artistes que Charles Delaurent apprécie tant ? La réponse est sans importance, seule compte sa réception auprès d’un public conquis par la sensibilité et la poésie des lignes épurées.

A gauche : ne dirait-on pas le chien Berganza ?/crédit photo/Lydia BarbeauA gauche : ne dirait-on pas le chien Berganza ?/crédit photo/Lydia Barbeau

A gauche : ne dirait-on pas le chien Berganza ?/crédit photo/Lydia Barbeau

Plusieurs sculptures ont d’ailleurs trouvé acheteur. Si se séparer de ses œuvres est vécu douloureusement par certains artistes, cela ne semble pas affecter outre mesure Charles. Pour lui, à la différence d’un artisan, l’acte de concevoir, et le processus de  création importe plus que l’œuvre finie. Ainsi, il peut passer des heures allongé sur un canapé à réfléchir, à griffonner des croquis avant d'entamer la réalisation proprement dite. Une fois l’œuvre créée, notre artiste s’en désintéresse pour passer à la suivante.

Seule exception :  une sculpture intitulée « L’Envol ». Elle  a suscité un tel attachement  qu’il a fait réaliser un double en bronze qu’il a conservé.

Il ne nous reste plus qu'à souhaiter que l'inspiration qui s'est tarie aussi soudainement qu'elle a jailli, titille à nouveau Charles Delaurent. Dernièrement, Le Cervantes du Quercy Blanc  s’est découvert une passion pour les Arts Bruts. Qui sait si.... 

L'Envol/crédit photo Gabrielle Delaurent

L'Envol/crédit photo Gabrielle Delaurent

Charles Delaurent, le Cervantes du Quercy Blanc
Charles Delaurent, le Cervantes du Quercy Blanc
Tag(s) : #art, #sculptures, #Lot, #Charles Delaurent
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